Petit Château Blanc démoli en 1967Antony
Petit Château Blanc démoli en 1967

Dans le numéro 281 du magazine municipal « Vivre à Antony » de juillet-août 2013, le maire d’Antony Jean-Yves Sénant écrit : « Grandie trop vite, Antony appartenait, comme beaucoup d’autres communes, à l’ensemble indifférencié de l’immense banlieue parisienne. On y dormait, mais on vivait à Paris. »

« Grandie trop vite, […] ensemble indifférencié, […] immense banlieue, […] On y dormait, on vivait à Paris. »

Ces phrases, ces mots résonnent comme en écho à la phrase prononcée en août 1961 par le Président de la République Charles de Gaulle, lors d’un survol en hélicoptère, à l’attention de Paul Delouvrier, alors délégué du district de la région parisienne : « Cette banlieue parisienne, on ne sait pas ce que c’est ! C’est un merdier ! Delouvrier, il faut mettre de l’ordre dans tout cela ! (1) Cette phrase, qui aura des conséquences sur la perception qu’ont les aménageurs de la banlieue parisienne, trouve peut être son origine dans une méconnaissance profonde de l’histoire de la banlieue parisienne et de ses villages. Elle a été prononcée à une époque où architectes et urbanistes ne juraient que par la Charte d’Athènes élaborée en 1943. Cette « Charte compte 95 points sur la planification et la construction des villes. Parmi les sujets traités : les tours d’habitation, la séparation des zones résidentielles et les voies de transport ainsi que la préservation des quartiers historiques et autres bâtiments préexistants. » (2) Néanmoins ce fut une époque obnubilée par les villes tracées au cordeau, symboles d’un modernisme « à l’américaine » qui était alors le modèle à suivre pour sortir de « l’obscurantisme » urbain et architectural européen.

Cette phrase de Charles de Gaulle a-t-elle par conséquent sonné le glas du vieil Antony ? En transformant implicitement la banlieue, toute la banlieue, en vaste réserve foncière, en un immense terrain de jeu pour les urbanistes, les architectes et les promoteurs immobiliers. Si, suite à cette politique d’aménagement, nombre de vieux centres-villes en banlieue parisienne ont trinqué, Antony a aujourd’hui la « gueule de bois ».

Par exemple, les constructions villageoises ou faubouriennes ont pour la plupart disparu du paysage parisien ! Victimes, pour beaucoup d’entre elles, des aménagements urbains du préfet Haussmann et du « haussmannisme » qui a suivi. Mais il est vrai que, d’une part, à cette époque, l’urbanisme de type monumental était de bon ton et que d’autre part, l’Empereur Napoléon III avait pour ambition de faire de Paris la capitale d’un empire européen et colonial. Il ne semble pas qu’Antony ait eu cette ambition, sinon la commune s’y serait prise autrement !

Quoi qu’il en soit, nos ancêtres antoniens ont légué à leurs héritiers, et ce jusqu’au début des années 1960, une ville presque intacte, ayant grandi progressivement en tâche d’huile. Les terrains agricoles qui entouraient le cœur historique permettaient alors une expansion sans causer trop de dommages pour le vieux centre. Bien sûr, dans le courant des deux derniers siècles, des bâtiments anciens ont vu arriver les pioches des démolisseurs ! Le Château de Berny (Fresnes et Antony), la Fontaine Michalon, quelques auberges et relais de poste situés sur la route royale de Choisy à Versailles, le moulin du Pont d’Antony, le pont d’Antony et quelques autres encore !

Même si Paris possédait des réserves foncières encore assez importantes après l’annexion des communes telles que Vaugirard, Belleville, la Villette, Austerlitz, Bercy, etc., l’afflux de populations attirées par l’important développement industriel de la région, ont amené les vieux faubourgs de banlieue à être digérés, densifiés. Mais soulignons qu’Antony, n’a pas connu cet afflux ! La courbe démographique a commencé à grimper sérieusement à partir des années 1920. (3) Mais jusque dans ces années là, Antony est resté un gros bourg qui a grandi par lotissement progressif des espaces agricoles.

Depuis les années 1970, pour répondre à la pression foncière, les plans d’occupation des sols (POS) successifs ont concentré leur densification sur le centre historique : le village haut et le Pont d’Antony, proches de la gare centrale.

Malheureusement pour le centre historique, l’urbanisation d’Antony a été traitée, depuis les années 1960, comme celle d’un renouvellement urbain d’une banlieue industrielle de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècles. On rase d’abord et on voit après !

En effet, si certains lotissements des 19ème et 20ème siècles correspondaient parfois à l’observation faite par Charles de Gaulle en 1961, les vieux centres des villages, comme celui d’Antony n’avaient en revanche, rien d’un « merdier ». Ces villages furent construits au fil des siècles, le long des cours d’eau, des routes, et non sur décision d’un aménageur, d’un urbaniste ou d’un promoteur immobilier.

Antony a été victime d’une totale incompréhension « culturelle » puisque les décideurs n’ont pas voulu tenir compte des caractéristiques esthétiques propres à cette ville.

Le vieil Antony (le village haut et le Pont d’Antony) ne s’était pas développé d’une manière anarchique, à l’inverse de l’urbanisation sauvage de la fin du 19ème siècle et la première moitié du 20ème siècle qui a défiguré une bonne partie de la banlieue parisienne. Cette masse désordonnée répondait plus à une urbanisation d’urgence pour faire face à l’afflux de populations attirées vers la ville par la révolution industrielle et qui a fini par atteindre Antony, mais pas en son centre.

Antony a payé cher ce malentendu urbanistique, historique, architectural et culturel.

Ce n’est pas en réduisant à néant les vieux centres (les vrais) des villes de banlieue que l’on réorganise celles-ci !

Rappelons que la loi Malraux sur la protection du patrimoine a été votée le 4 octobre 1962 et certains maires se sont alors empressés de faire raser des propriétés pour les lotir avant que celles-ci ne tombent sous cette loi de protection du patrimoine.

Georges Suant, maire d’Antony de 1955 à 1977 a voulu suivre les idées des aménageurs et en 1976, a présenté aux Antoniens un projet de rénovation urbaine qui prévoyait de raser entièrement le vieux centre compris dans les secteurs délimités par les axes Velpeau, de la Providence, Aristide Briand, Auguste Mounié pour le premier quartier, et Aristide Briand/Général Leclerc, des Iris/René Barthélémy, du 11 novembre pour le second.

Entre renouvellement urbain et destruction du patrimoine bâti ancien, il y avait un fossé à ne pas franchir ! Les Antoniens ont rejeté le projet, et André Aubry, candidat du Parti Communiste, a remporté les élections municipales de mars 1977.

Hélas, cela n’a pas arrêté l’hécatombe. La politique du bulldozer a certes été freinée dans son élan, mais petit à petit et de manière insidieuse un bâtiment a été rasé par ci puis un autre par là. Les mairies successives suivant presque au mètre carré près les plans de 1976. Le vieil Antony a payé le prix fort pour cette politique de « normalisation » architecturale et urbaine. Une grande partie de son héritage est parti dans les bennes des démolisseurs.

Tout cela s’est fait dans l’indifférence presque générale d’une population majoritairement venue d’ailleurs et en grande partie insensible au charme du patrimoine architectural et culturel du vieil Antony. Il faut dire que ces nouveaux habitants venaient à Antony simplement pour trouver un logement et non pas pour faire du tourisme.

Cependant, il n’y a pas que Versailles ou Saint-Germain-en-Laye, villes protégées, qui méritent une sauvegarde de leur patrimoine architectural et urbain.

Le vieil Antony n’a pas moins de valeur que les centres de ces deux villes, fussent-elle « nobles ». Antony est certes d’origine rurale mais cela n’en fait pas une zone de non droit concernant la protection du patrimoine ! Il est temps de faire cesser la casse !

L’avenir ne se présente pas sous les meilleurs auspices puisque les programmes de destructions sans discernement sont repris par grand nombre de politiques d’aujourd’hui sous prétexte de densification. Les décideurs en la matière avancent des arguments des plus surprenants : adaptation « culturelle », changement de « mode », etc. (voir les arguments de Cécile Duflot dans son programme SDRIF et loi SRU de 2013)

Pour terminer, voici la liste non exhaustive des démolitions de constructions remarquables du centre ville depuis les années 1960 :

– Château Bidoire, Manufacture Royale de Cire (18ème/19ème siècle) démoli en 1964

– Château de la Tour (Fayet de la Tour) (début 19ème siècle) démoli en 1967

– Petit Château Blanc démoli en 1967

– Propriété Séailles : 54 avenue du Bois de Verrières (anciennement 22 rue de Verrières) démolie en 1971

– Ancienne mairie (1835) : rue Auguste Mounié démolie en 1994

– Maison (fin 19ème siècle) : 11 boulevard Pierre Brossolette démolie en 2010

– Maison début 20ème siècle de style art déco : 1 rue de l’ancien château

– Maisons anciennes et bâtiments ruraux : du 3 au 29 avenue du Général Leclerc

– Ecole primaire « La Croix » fondée en 1850 : rue Auguste Mounié démolie en 1995

– Ecole privée de « la Congrégation de Saint André-Hubert Fournet » installée en 1820 : rue Auguste Mounié démoli dans les années 1980.

– Diverses maisons (19ème siècle) : rue Auguste Mounié

– Maisons (19ème siècle): avenue de la Providence

– Maisons anciennes (19ème siècle) : rue Velpeau

– Maisons anciennes et bâtiments ruraux : 9, 11, 19, 21 avenue Aristide Briand

– Gare d’Antony (1854) qui fut classée comme patrimoine et démolie en 2001

– Parc de l’ancienne propriété Chénier dite de la Belle Levantine, début de 19ème siècle : rue de l’Abbaye supprimé en 1967

– Nombreuses maisons fin 19ème siècle en meulière: avenue Gabriel Péri, démolies depuis la fin du 20ème siècle

– Maisons anciennes et bâtiments ruraux (17ème à 19ème siècle) : rue de l’Eglise démolis dans les années 1980

– Maisons anciennes et bâtiments ruraux : rue de Chatenay

– Pouponnière Paul-Manchon (1893) démolie en 2000

– Cinéma Le Sélect (18ème et début 19ème siècle) bâtiment rural reconverti en cinéma au début du 20ème siècle démoli en 2013

– Maison 18ème et 19ème siècle : 14 Avenue de la Division Leclerc (Chaussures Deshayes) démolie en 2013

Sources et références :

(1) – http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/84/06/33/PDF/These_Boissonade.pdf

(2) – http://fr.wikipedia.org/wiki/Charte_d’Ath%C3%A8nes

(3) – http://fr.wikipedia.org/wiki/Antony